Cododo: une pratique universelle
Dormir avec son bébé est devenu une polémique dans plusieurs pays occidentaux. Les autorités médicales nous disent que cette pratique est dangereuse, qu’elle augmente le risque du syndrome de la mort subite du nourrisson et d’une mort étouffée par le corps du parent. Certaines en viennent même à interdire sous punition de perdre la garde de l’enfant.
La question est la suivante: Pourquoi presque la moitié des femmes qui allaitent finissent-elles par dormir avec leur bébé?
Le partage de lit: une pratique universelle
D’un point de vue anthropologique, les mères ont toujours dormi avec leur bébé. L’idée que le bébé doit dormir sur une surface séparée (et dans une autre pièce) est très récente dans l’histoire de l’humanité. Naturellement, le bébé cherche le contact et la proximité pendant la nuit, et la mère ressent un besoin d’être près de son bébé la nuit. Le co-dodo est une tradition dans au moins 70% des cultures enregistrées, et cette pratique est universelle dans les cultures de chasseur-cueilleur. (Doucleff, 2018)
Comment en sommes-nous venus à interdire une pratique qui est, d’un point de vue anthropologique et ethnologique, biologique et naturel?
Que s’est-il passé pour que nous interdissions le partage de lit dans notre société contemporaine?
Pour comprendre, il faut regarder le passé, non si lointain.
Le sommeil du bébé solitaire: nouveau paradigme
Il y a 70 à 80 années, de nouvelles recommandations sur la manière de prendre soin du bébé ont changé drastiquement. Les recommandations suivaient les valeurs sociales de médecins majoritairement de sexe masculin, blanc, qui n’avaient probablement jamais changé la couche de leur propre enfant.
« Ces ‘experts parentaux’ préféraient définir les bébés en fonction de ce qu’ils voulaient que les nourrissons deviennent, et décidaient de ce qui était bon pour les nourrissons sur la base de valeurs sociales récentes et parfois arbitraires, telles que l’autonomie et l’indépendance. »
(Safe Infant Sleep, p.33)
Ainsi, ils préconisaient le lait maternisé sur l’allaitement maternel et le sommeil solitaire, soit dormir dans un berceau dans une pièce séparée du parent, plutôt qu’aux côtés du parent. L’idée était simple : plus vite le lien de dépendance est éliminé, plus rapide le bébé deviendra autonome et indépendant.
Par la suite, ils ont commencé à étudier le sommeil du bébé en suivant ces nouvelles recommandations : le bébé nourrit au biberon dormant seul dans une pièce séparée. Ils en ont conclu que le bébé dort de longues périodes de sommeil et se réveille uniquement pour être nourri. Ils en ont conclu que les bébés sont capables (et devraient) faire leur nuit – ce qui signifie à cette époque dormir 10h – alors qu’ils sont encore de jeunes bébés.
De là est apparue l’idée qu’un bébé qui se réveille la nuit le fait parce qu’il a faim ou par habitude, et qu’il est possible de lui apprendre à ne pas se réveiller. Un nouveau paradigme pour les recherches concernant le sommeil du bébé a vu le jour. Certains conseils des médecins sur le sommeil du bébé aujourd’hui se fondent encore sur ces études, sur ces vieilles idées. Le problème est que le fondement même de ces études n’est pas du tout un comportement du bébé naturel et biologique.
D’un point de vue biologique et anthropologique, le nourrisson est fait pour dormir en grande proximité avec sa mère, qui, naturellement, allaite. C’est de cette manière que la dyade mère-bébé a toujours dormi. Comme l’explique James McKenna, c’est de cette manière que les études sur le sommeil du bébé devraient se fonder – soit sur le comportement naturel du bébé.
« [Ces experts] auraient dû penser à qui est réellement les nourrissons – de petites créatures qui dépendent physiologiquement, socialement et psychologiquement de la présence d’une personne qui en prend soin à un degré sans précédent et pendant une durée sans précédent par rapport aux autres mammifères. »
(Safe Infant Sleep, p.33)
Heureusement, un expert en physiologie du sommeil, biologiste de l’évolution (qui connaît l’histoire de notre espèce), anthropologue social et historien, Professeur James McKenna s’appuie sur des données et des recherches réelles du sommeil du bébé et de la mère en différente situation.
Nous avons aujourd’hui les preuves:
qu’une mère qui allaite peut dormir avec son bébé de manière sécuritaire ;
qu’une mère qui allaite et qui dort avec son bébé de manière sécuritaire n’est pas un risque pour la SMSN. Au contraire, cette pratique prévient même contre cette situation dramatique ;
que dormir avec son bébé comporte un nombre incroyable d’avantages pour le développement sain du bébé, au niveau cognitif, émotionnel et physiologique, et également pour la mère.
Le sommeil-allaité (breastsleeping)
McKenna apporte une nouvelle terminologie pour le comportement le plus naturel et instinctif du sommeil du bébé : le sommeil-allaité (ou breastsleeping). Il s’agit d’un type de cododo particulier, le partage de lit entre une mère qui allaite et son nourrisson, se déroulant dans un environnement exempt de tout facteur de risque.
« C’est la forme la plus sûre de partage de lit, pratiquée dans le monde entier depuis toute l’histoire de l’humanité. » (McKenna, 2020)
C’est lorsqu’on s’éloigne des comportements naturels, qu’on culpabilise les mères de suivre leur intuition, qu’on place l’enfant dans une situation qui ne lui est pas la plus adapté, que nous rencontrons des difficultés à tous les niveaux.
En retrouvant un comportement biologiquement adapté, comme le sommeil-allaité, nous découvrons les incroyables bienfaits que cette pratique apporte, pour le nourrisson comme pour la mère.
« Les échanges sensoriels continus (de toucher, de son, d’odeur et de goût) entre la mère et le nourrisson pendant l’allaitement – et le lait maternel lui-même – modifient considérablement l’architecture du sommeil du nourrisson et de la mère, le métabolisme du nourrisson, l’efficacité du système immunitaire du nourrisson et le microbiote du nourrisson (les bactéries utiles). Des recherches récentes suggèrent également des changements positifs dans les connexions neuronales en croissance et en expansion d’un nourrisson et dans l’architecture globale du cerveau. » (p.28)
Le syndrome de la mort subite du nourrisson (SMSN)
Le syndrome de la mort du nourrisson est la mort d’un nourrisson qui n’a aucune « cause » réelle. Une théorie dominante parmi les scientifiques qui étudient ce sujet est l’incapacité du nourrisson à se réveiller d’un sommeil trop profond. Les mécanismes d’auto-éveil sont sous-développés chez les nourrissons, et encore plus chez les prématurés et ceux qui ont des risques congénitaux.
De cette manière, tout ce qui aide le bébé à atteindre un sommeil profond est un risque lié au SMSN. Bien qu’un sommeil consolidé peut être pratique pour le parent, cela n’a rien de bon pour le bébé. « …le concept de dormir toute la nuit est devenue obsolète – et pire, est devenu un obstacle à un sommeil optimal et à l’allaitement maternel. » (Mckenna, 2020)
Un premier risque est le lait maternisé. Ce type de lait n’offre pas la même protection immunitaire que le lait maternel (dans lequel nous retrouvons des anticorps pour aider le bébé à lutter contre les germes et les microbes dans l’environnement). Les bébés nourris au lait maternisé tendent à dormir de plus longues périodes pendant la nuit, ce qui signifie qu’ils dorment plus souvent dans un sommeil profond que les bébés allaités. Bien qu’on puisse trouver avantageux de dormir avec moins d’interruption, cela n’est pas nécessaire sécuritaire pour le nourrisson, comme indiqué plus haut.
Un deuxième risque est le sommeil solitaire, soit lorsque le nourrisson dort seul dans une pièce séparée des parents. Lorsqu’un bébé dort de cette manière, il n’a pas les mêmes stimuli sensoriels, comme le son de la respiration des parents, de leurs mouvements, l’odeur des parents. Ainsi, le bébé se réveillera moins souvent (ce qui favorise un sommeil profond) qu’un bébé qui dort dans la même pièce qu’un parent, qui a des microréveils quand un des parents bouge dans son lit. Il est recommandé de garder le nourrisson dans la même chambre que le parent (cododo) pour les six à douze premiers mois de vie, au minimum.
Un troisième risque est l’emmaillotement. Emmailloter le bébé est une pratique très courante dans notre société et dans plusieurs sociétés également. Cependant, il faut comprendre que cette pratique a pour but de maintenir le bébé dans un « cocon » pour l’aider à rester endormi lorsqu’il est déposé sur le dos. Pratiquer pendant la nuit, cela pourrait amener le bébé à dormir dans un stade de sommeil trop profond. Il faut être conscient de la fréquence de cette pratique et de la raison pour laquelle vous décidez d’emmailloter votre bébé.
Une experte dans les recherches sur le SMSN, la Dr Marie Valdes-Dapena, ayant étudié des dizaines de milliers de nourrissons morts du SMSN, a déclaré :
« Un adulte normal qui dort sera réveillé par les luttes d’un nourrisson couché avant que la suffocation ne se produise, sauf, bien sûr, si l’adulte est en état d’ébriété ou sous l’influence de drogues. »
Les parents sont biologiquement conçus pour répondre de manière appropriée et immédiate aux signaux de détresse de leur bébé, pour autant qu’ils soient à jeun et investis dans la relation. Pratiquer le cododo, peu importe la forme utilisée, est un moyen de protéger le bébé contre le SMSN.
Le cododo et le SMSN
Le sommeil-allaité permet d’améliorer la protection contre le SMSN. Lorsque le bébé allaité dort avec sa mère, il y a des inspections régulières entre la mère et son bébé, et le contact et la proximité aide à la régulation physiologique du bébé. (Baddock & al. 2019) Il est intéressant de remarquer que les pays avec le taux de SMSN le plus bas (comme la Chine) ont également le taux le plus élevé de partage de lit.
De plus, toutes les études confirment que le sommeil-allaité augmente la production de lait par une augmentation de la fréquence d’allaitement, qui est également connu pour protéger le bébé contre le SMSN. (Ball, 2002 ; McKenna, 2002) Ces réveils fréquents permettent au bébé de dormir majoritairement dans un stade de sommeil léger, ce qui lui donne plus de pratique pour développer ses mécanismes d’éveil.
Plus de réveils? Alors quand est-ce que je vais pouvoir enfin dormir?!
Même si la pratique du sommeil-allaité (ou des autres formes de cododo) engendre plus de réveils nocturnes, ces réveils sont généralement brefs et plus calmes que lorsque le bébé dort dans une pièce séparée. Surtout pour les mères qui partagent la même surface avec leur bébé, elles se réveillent que brièvement pour mettre le bébé au sein avant de se rendormir. Pas besoin de s’asseoir, de tenir le bébé et de le remettre dans son berceau – temps et énergie sauvés.
Il y a également un besoin de normaliser les réveils nocturnes et de la charge physique et mentale qu’est celle de prendre soin d’un bébé. Nous devons nous construire un « village d’attachement » pour nous aider avec le bébé pendant que nous pouvons nous reposer.
Pourquoi dormir avec bébé?
La principale raison pour laquelle les mères finissent par dormir avec leur bébé est pour réduire leur épuisement. Les nourrissons sont conçus pour se réveiller plusieurs fois par nuit pour allaiter, ce qui est un mécanisme de survie que nous ne voulons pas éliminer.
Comme indiqué plus haut, lorsqu’une mère dort avec son bébé, les réveils sont très brefs et calmes, car elle n’a pas besoin de changer de position pour mettre bébé au sein (comme de s’asseoir).
Le partage de lit (sommeil-allaité):
C’est plus de réveils, plus de sécurité.
C’est moins de mouvement, plus de calme.
C’est plus de repos pour tous.
Une augmentation du repos n’est pas la seule raison pour laquelle les mères dorment avec leur bébé. Les mères et leurs bébés ressentent une grande satisfaction à dormir ensemble. Des facteurs physiologiques et sociaux nous motivent et nous « récompensent » lors du partage de lit. (McKenna, 2020)
« Il est clair que de nombreuses mères américaines et européennes apprécient le partage du lit, non seulement pour des raisons pratiques comme dormir davantage et gérer leur production de lait, mais également aussi pour des raisons émotionnelles. »
(Dr Blair, 2019)
Les bienfaits du contact pendant la nuit
« Un bébé qui dort à proximité de ses parents, qu’ils partagent le lit ou dorment sur une surface séparée, bénéficie des rappels continus de la présence de la personne qui s’occupe de lui – inspections, touchers, odeurs, mouvements, chaleur, et, en raison de l’augmentation de l’allaitement, du goût. Ces sensations procurent une sécurité émotionnelle au bébé. »
(Safe Infant Sleep, p.139)
Les bébés humains sont les primates les plus vulnérables à la naissance. Leur immaturité sur le plan neurologique est liée au sous-développement de leurs systèmes de survie : les systèmes immunitaire, respiratoire, cognitif et digestif, à leur capacité de mastication et à leur contrôle des mouvements et des vocalisations. Un processus instinctif du nourrisson pour compenser sa vulnérabilité est de rester en étroite proximité avec le corps de la mère ou de toute personne qui en prend soin. Le corps de cette personne aide ses sens à s’éveiller, procurant simultanément des effets régulateurs de ses systèmes. (Whiting, 1981 ; Field, 2001 ; Mosko et al., 1997 ; McKenna et al., 1993 ; Baddock et al., 2019)
Pendant la nuit, les réponses neurologiques du nourrisson au corps de sa mère à ses côtés le sécurisent, au niveau émotionnel et physiologique. Son propre corps réagit à la chaleur maternelle, aux odeurs de sa mère (du corps et du lait), aux mouvements et au toucher. Toutes ces sensations aident à réduire les pleurs du nourrisson, à réguler positivement sa respiration, sa température corporelle, l’absorption des calories, les niveaux d’hormones de stress, son état immunitaire et son oxygénation. Bref, tout ce dont le bébé a besoin pour se développer sainement.
Le docteur Nils Bergman décrit que le corps de la mère est comme « l’habitat » du nourrisson humain. (Bergman, n.d.) Ayant connu que cela depuis sa conception, le corps de la mère reste le lieu le plus sûr pour le bébé après la naissance.
Les bébés qui se reposent sur la poitrine, directement sur la peau, de leur mère ou de leur père, respirent plus régulièrement, utilisent l’énergie plus efficacement, grandissent plus vite et subissent moins de stress. (Anderson, 1995)
Le contact peau à peau procure également des bienfaits pour les mères. Ce contact est associé à une augmentation significative des niveaux d’ocytocine dans le corps de la mère, l’hormone libérée pendant l’allaitement et les liens sociaux. (Widstrom, 1990) Il existe également une recherche qui montre que le contact peau à peau apporte également une diminution de l’anxiété maternelle et une augmentation de la participation des mères aux soins de leur nourrisson. (Vial-Courmont, 2000)
En plus du contact étroit que procure le sommeil-allaité, il fournit également un meilleur environnement offrant protection et réconfort nocturne.
Le partage de lit: une décision personnelle
Comme l’indique Dr James McKenna, bien que le partage de lit fait de manière sécuritaire signifie un bébé en santé et une mère qui allaite, chaque parent doit faire ses propres choix selon ses propres capacités à répondre à leur bébé.
Aucune autorité ne devrait juger la capacité du parent à être réactif à son bébé pendant la nuit. Autoriser ou interdire une pratique si intime dans la relation et la façon dont le parent veut accompagner son enfant est très intrusif et offensant.
L’endroit où dort le bébé n’est pas un intérêt médical, mais relationnel.
Chaque famille devrait être le juge de ce qui correspond le mieux à sa propre situation, considérant les besoins de tous les membres, les émotions et le tempérament de chacun.
Chaque famille devrait être le juge de ce qui correspond le mieux à sa propre situation, considérant les besoins de tous les membres, les émotions et le tempérament de chacun.
« [Les] messages et commentaires négatifs [à propos du partage de lit] échouent collectivement, parce que ceux qui construisent ces messages ne comprennent pas pourquoi les mères partagent le lit, ou les puissants mécanismes émotionnels et biologiques qui rendent le sommeil avec son bébé (surtout si elle allaite) légitime, parfois nécessaire et souvent souhaitable. »
(Safe Infant Sleep, p.107)
Références
La source première des informations de cet article provient du livre du Pr James McKenna, Safe Infant Sleep.
McKenna, J.J. Safe Infant Sleep – Expert answers to your colseeping questions, 2020, Platypus Media, États-Unis, 284 pages
Anderson, G.C. (1995). Touch and the kangoroo care method. Touch in Early Development. T.M. Field. (Ed.) NJ:Lawrence Erlbaum, 33-51
Baddock, S.A., Purnell, M.T., Blair, P.S., Pease, A., Elder, D., & Galland, B. (2019). The influence of bedsharing on infant physiology, breastfeeding and behavior: a systematic review. Sleep Medicine Review, 43, 106-117
Ball, H.L. (2002). Reasons to bed-share: why parents sleep with their infants. Journal of Reproductive and Infant Psychology, 20(4), 207-221
Bergman, N. (n.d.) Skin-To-Skin Contact – Background. Retrieved from http://skin2skincontact.com/research/background/
Blair, P.S., personal communication with James McKenna, March 19, 2019
Doucleff, M. (2018) Is Sleeping With Your Baby As Dangerous As Doctors Say? NPR. Retrieved from www.npr.org/sections/goatandsoda/2018/05/21/601289695/is-sleeping-with-your-baby-as-dangerous-as-doctors-say
Field, T.M. (2001). Massage therapy facilitates weight gain in preterm infants. Current Directions in Psychological Science, 10, 51-54
McKenna, J.J. (2002). Breastfeeding and Bedsharing: Still Useful (and Important) After All These Years. Mothering Magazine, 114, 28-37
McKenna, J.J., Thoman, E.B., Anders, T.F., Sadeh, A., Schechtman, V.L., & Glotzbach, S.F. (1993). Infant-parent co-sleeping in an evolutionary perspective: implications for understanding infant sleep development and the sudden infant death syndrome. Sleep, 16(3), 263-282
Mosko, S., Richard, C., & McKenna, J.J. (1997). Maternal sleep and arousals during bedsharing with infants. Sleep 20(2), 142-150
Whiting, J.W.M. (1981). Environmental constraints on infant care practices. Handbook of Cross-Cultural Human Development. R.H. Munroe, R.L. Munroe, and B.B. Whiteing. (Eds) NY: Garland STPM Press
Widstrom, A., et al. (1990). Short term effects of early suckling and touch of the nipple on maternal behaviour. Early Human Development, 21, 153-163
Vial-Courmont, M. (2000). The kangoroo ward. Med. Wieku Rozwoj, 4(2 suppl 3), 105-117