La face cachée de l’entraînement au sommeil

Les trois méthodes de l’apprentissage au sommeil

La vogue de l’apprentissage au sommeil, bien qu’elle date d’il y a déjà plus d’un demi-siècle, est toujours présente et active dans la communauté des parents de jeunes enfants.

Il existe diverses méthodes d’entraînement au sommeil qui exercent différents niveaux de pleurs. Nous allons en voir quelques-unes tout en discutant de chacune d’entre elles du point de vue du lien d’attachement et du développement de l’enfant. 

La méthode d’extinction

Le niveau le plus élevé de l’entraînement au sommeil est la méthode d’extinction. Elle a été la première approche développée par les docteurs de l’époque (dans la première moitié du XXe siècle). Il s’agit de déposer le bébé encore éveillé dans son berce au, dans sa propre chambre, et de quitter la chambre jusqu’au lendemain. Cette méthode, bien qu’elle soit extrême et n’est certainement plus recommandé comme autrefois pour l’enfant (car certains bébés pleurent tellement qu’ils en vomissent ou s’étouffent et ne peuvent plus bien respirer). Bien qu’elle soit encore utilisée aujourd’hui, elle n’est, heureusement, que très peu pratiquée.

Deux méthodes sont les plus répandues. L’une est prônée dans l’industrie de l’entraînement au sommeil, et la seconde est parfois associée au sommeil dit bienveillant.

 

La méthode du 5-10-5 ou du 5-10-15

La première est celle des pleurs chronométrés. Il existe plusieurs variantes, mais les plus pratiquées sont le 5-10-5 et le 5-10-15. Cette approche est issue de la méthode d’extinction, mais elle apparaît comme plus douce et se dit être plus « appropriée » pour le jeune enfant. Le but de cette pratique, comme l’originale plus extrême, est d’habituer l’enfant à la séparation du parent, pour l’inciter ainsi à trouver, seul, des moyens pour s’apaiser et donc réussir à s’endormir sans la présence du parent.  Ainsi, le parent laisse l’enfant pleurer 5 minutes avant de retourner le voir, ensuite 10 minutes, puis 5 ou 15 minutes selon la méthode choisie. Puis on continue ainsi jusqu’à ce que l’enfant soit endormi ou qu’il ne pleure plus. Bien souvent, lorsque le parent revient dans la chambre de l’enfant, il ne doit pas le prendre: il doit le laisser dans son berceau, peut-être qu’il peut le caresser pour le consoler ou seulement lui dire des mots doux. Certains spécialistes recommandent de faire seulement acte de présence, sans toucher ni parler, ni même regarder l’enfant.

À travers ces différentes pratiques, les pleurs sont souvent vus comme de la manipulation de la part du bébé, il faut donc qu’il apprenne à ne plus avoir ce comportement, c’est-à-dire à ne pas pleurer ni avoir besoin d’être consolé lorsqu’il est déposé dans son lit. Dans d’autres cas, les pleurs sont tout simplement vus comme de la frustration et qu’il est normal pour l’enfant d’exprimer son mécontentement. Mais, même si l’expression des émotions est acceptable cela ne veut pas dire que le parent doit être à ses côtés pendant ce moment. Au contraire, l’enfant doit apprendre à gérer par lui-même sa frustration et à trouver des moyens pour se réguler et trouver le sommeil seul.

 

La méthode de la chaise 

La troisième méthode, beaucoup plus douce, s’inscrit dans le mouvement de la parentalité bienveillante. Elle apparaît le plus souvent comme la méthode sans pleurs ou positive du sommeil. Une grande différence apparaît quant aux méthodes précédentes : ici le parent reste dans la chambre de l’enfant jusqu’à ce qu’il s’endorme (du moins dans les débuts). Le but est d’habituer tranquillement l’enfant à un éloignement physique du parent, qui devient de plus en plus grand, afin qu’il reste rassuré par la présence du parent tout en cherchant des moyens pour s’apaiser et s’endormir seul dans son lit. D’abord, le parent peut toucher l’enfant, puis s’éloigne tranquillement, ne le regarde pas, ne parle pas et reste assis sur une chaise qui prend de plus en plus de distance, jusqu’à disparaître totalement de la vision de l’enfant pendant la période d’endormissement.

À première vue, cette méthode apparaît bienveillante en comparaison aux deux autres, et ne semble pas du tout s’inscrive dans une méthode d’apprentissage au sommeil. Alors pourquoi est-ce que nous la plaçons tout de même dans la catégorie de l’entraînement au sommeil?   

La raison est simple : elle s’inscrit dans la même mentalité par rapport à l’enfant.

 

Les croyances de l’apprentissage au sommeil

Pour toutes les méthodes ci-haut, il y a la croyance pour laquelle l’enfant peut et devrait être capable de s’endormir seul, qu’il n’a donc pas (ou ne devrait pas) avoir besoin d’une parent pour s’endormir. Une seconde croyance, reliée à la première, est que l’enfant est capable de s’apaiser seul. Les teneurs de ces pratiques appellent cela de l’autonomie.

Mais la réalité est beaucoup plus nuancée.

 

La séparation et le lien d’attachement

D’abord, pour qu’un enfant soit capable de s’endormir seul, il faut qu’il soit capable de tolérer la séparation avec sa figure d’attachement. Si l’enfant pleure quand le parent quitte sa chambre, c’est un signe évident que l’enfant n’est pas encore prêt à cette distance, qu’il a besoin de ce moment de connexion. Autrement, on force la séparation (parfois à toutes petites doses, comme c’est le cas pour la méthode de la chaise), ce qui n’est pas sans laisser de traces dans la relation. Un enfant peut alors devenir plus anxieux ou, au contraire, apparaître plus indépendant (ce qui est plutôt un semblant d’indépendance, car pour qu’un enfant devienne réellement indépendant il doit d’abord se sentir en sécurité dans sa dépendance à un adulte).

 

La capacité à s’autoréguler (autorégulation)

Par ailleurs, être capable de s’apaiser seul demande une certaine maturité cognitive, ce qui arrive habituellement quand l’enfant commence à raisonner (vers 6-7 ans pour la majorité, et 8-9 ans pour les enfants plus sensibles). Certains jeunes enfants sont capables de le faire plus tôt, mais ce n’est habituellement pas encore un comportement acquis (au niveau cognitif) et il aura souvent encore besoin d’être accompagné ou soutenu pour le faire par lui-même (c’est-à-dire sans que le parent lui dise comment faire).

Un jeune enfant apprend à s’autoréguler d’abord en étant régulé par un adulte calme et bienveillant. C’est-à-dire que le jeune enfant a besoin de l’aide d’un adulte, de son attitude calme et rassurante, pour retrouver un état de calme interne. C’est le jeu des neurones miroirs. (J’y reviendrai dans un prochain article, car expliquer l’autorégulation demanderait toute une page entière!) En quelques mots, pour qu’un enfant soit capable de se réguler, c’est-à-dire de retrouver un état de calme lorsqu’il se sent agité émotionnellement, il a besoin de l’attention calme d’un adulte. L’enfant ne peut pas le faire seul, et encore moins lorsqu’il est envahi par de fortes émotions (comme ça peut être le cas quand le parent quitte la chambre de l’enfant). 

Ainsi, les pratiques de l’entraînement au sommeil qui utilisent les pleurs chronométrés, ou même la chaise, ne peuvent réellement enseigner à l’enfant à s’autoréguler. Néanmoins, il est toutefois probable que l’enfant finisse par s’endormir seul, et que ce soit de moins en moins long et que le niveau des pleurs diminue de jour en jour. Si cette technique ne fonctionnait pas, elle ne serait pas aussi populaire. Si l’enfant réussi à s’endormir seul, sans pleur, est-ce une preuve qu’il a appris à se calmer par lui-même? Si la réponse est négative, qu’est-ce que l’enfant apprend avec ce genre de méthode?

 

Ce que l’apprentissage au sommeil enseigne au bébé

Ce que le résultat des recherches montre par rapport aux bébés qui ont été entraînés au sommeil est qu’ils se réveillent toujours la nuit, souvent autant qu’auparavant. La seule différence est qu’ils restent silencieux.  Le bébé aura arrêté de signaler ses réveils au parent. C’est-à-dire que le bébé n’aura pas appris à s’endormir et à rester endormi, mais à ne plus appeler son parent. Bref, l’enfant apprend à ne plus demander de l’aide pour subvenir à un quelconque besoin pendant la nuit.

 

On croit alors que le bébé est autonome, qu’il sait s’endormir et s’apaiser par lui-même, mais est-ce réellement le cas? Est-ce réellement être autonome que d’avoir appris à ne plus appeler son parent la nuit pour avoir de l’aide à se rendormir? Est-ce réellement être autonome que de rester dans son lit éveillé, parfois pendant plus d’une heure, sans « avoir besoin » d’être près de son parent (sa figure d’attachement, sa base de sécurité et d’amour)?

 

Il semble plutôt que ces bébés ont appris à étouffer leur instinct et à aller à l’encontre de la nature. (Mais c’est également dire que le parent a également étouffé son instinct, parfois involontairement, souvent en pensant que c’est la seule manière de pouvoir enfin dormir... mais je vous rassure qu’il existe d’autres manières de retrouver un sommeil reposant.)

 

La fatigue des nouveaux parents est valable

Je ne peux pas m’indigner contre les parents qui ont pratiqué une ou plusieurs de ces méthodes. Je connais la fatigue d’avoir un bébé qui se réveille plusieurs fois par nuit, ou qui prend – ce qui semble être – des heures à s’endormir, ou bien celle d’avoir un bébé aux besoins plus intenses. Je connais l’épuisement d’être nouvellement maman, et celle de se sentir seule, sans ressource et sans aide. Je connais le mal-être général de se sentir constamment à fleur de peau, de se sentir déclenché à tous les pleurs, les cris et les colères d’un tout-petit.

Parfois, c’est à court de ressources (émotionnelles, physiques, et informationnelles).

Parfois, c’est parce qu’on croit (ou plutôt qu’on nous a fait croire) que c’est nécessaire, que notre enfant doit apprendre à s’endormir seul, que c’est important pour lui comme pour nous de « bien » dormir.

Je comprends pourquoi certains parents choisissent ces méthodes, et j’y ai moi-même pensé plusieurs fois et j’ai succombé à la tentation une fois (que je regrette encore aujourd’hui). Je comprends qu’en tant que parent d’un jeune enfant, nous pouvons rapidement nous sentir démunis. Et c’est bien lorsqu’on est dans cet état qu’on « se sent prêt » à tout essayer pour dormir (pensant que c’est la seule manière pour se sentir mieux). 

Ce qui me désole est le pouvoir que cette mentalité détient sur les gens. Celle-ci est encore dominante autant dans le réseau des professionnels que sur le web.

Ce qui m’attriste est que beaucoup de parents ne savent pas qu’il existe une autre solution, qu’ils peuvent retrouver un sommeil réparateur tout en conservant le lien d’attachement intacte (et même le renforcir).

Ce qui m’afflige c’est que les professionnels de cette mentalité croient dur comme fer au pouvoir de l’entraînement au sommeil, en omettant d’éclairer les parents sur l’effet de ces méthodes, en mettant de l’avant que la seule solution à l’épuisement des premières années avec un enfant est celle de pratiquer l’apprentissage au sommeil.

Mais il y a toujours une raison, un besoin derrière les pleurs et les difficultés de sommeil des jeunes enfants. Et si la cause des réveils et des difficultés de sommeil n’est pas adressée, l’enfant ne dormira pas plus ni mieux avec l’entraînement au sommeil (mais, en contrepartie, le parent dormira plus). Et si la cause est un trouble de sommeil (comme ceux lié à une respiration buccale), l’enfant n’aura pas l’aide dont il a réellement besoin. 

 

Comment savoir quelles informations écouter

La société dans laquelle nous vivons est encore beaucoup ancrée sur les « meilleures solutions », ce qui se résume trop souvent à trouver la solution aux résultats rapides. Cela se produit souvent en corrigeant le visible (le comportement, le symptôme), mais non en cherchant la cause, qui est souvent « invisible », bien cachée. 

Comment savoir alors, en tant que parent, si ce que nous faisons est la bonne chose à faire? Si les informations que nous consommons et que nous souhaitons appliquer sont les bonnes pour nous?

La réponse la plus fiable est de regarder en soi. Comment cela nous fait-il sentir? Ressentons-nous une obligation? Est-ce que l’information nous culpabilise? Ressentons-nous un froid, une distance à l’intérieur de vous? Ou ressentons-nous plutôt un bien-être, un calme intérieur ?

C’est vrai qu’il est parfois difficile de regarder en nous et de voir si ce que nous ressentons est authentique. Avec toutes les informations que nous entendons et que nous lisons et écoutons, nous perdons vite confiance en nous et en notre instinct. C’est le moment de reprendre votre pouvoir, car tout parent sait au plus profond de son cœur ce qu’il doit faire. Il suffit de tendre l’oreille et de pratiquer à écouter cette petite voix à l’intérieur de soi. Comme le dit le psychologue Gordon Neufeld, un parent est la réponse, vous avez tout ce dont votre enfant a besoin

 

Vous avez déjà toutes les réponses en vous. Il suffit de faire de l’espace pour les écouter.

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